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arts

L’architecture selon Marie-José Van Hee: être, en toute simplicité

Par Bart Van der Straeten, traduit par Alice Mevis
3 avril 2023 8 min. temps de lecture

En bientôt 50 ans de carrière, l’architecte flamande Marie-José Van Hee a développé un style personnel dont la quête de l’harmonie, le dépouillement et l’effet protecteur constituent les maîtres-mots. De Singel à Anvers lui consacre une exposition tout en sobriété, à l’image de son travail.

L’exposition d’architecture qui se tient jusqu’au 21 mai 2023 au centre artistique De Singel à Anvers fait preuve d’une humilité plutôt rare dans ce domaine. Là où on s’attend habituellement à des salles remplies de maquettes, d’esquisses et de vidéos présentant la vision inspirée d’un ou d’une architecte, on retrouve quelque chose de totalement différent: un espace sobre, accueillant et protecteur, pourvu d’une large galerie fonctionnant comme une invitation à la promenade. Tout au long du parcours, vous pouvez prendre le temps de lire l’une des lettres privées qui y sont exposées, ou vous attarder sur l’un des objets d’exception qui ponctuent l’exposition.

Van Hee ne cherche pas à mettre en scène son propre talent ou son propre succès, comme il est courant de voir certains starchitects le faire. Au contraire, elle met à l’honneur toutes les personnes qui l’ont d’une manière ou d’une autre influencée au cours de sa vie. Qui connait un tant soit peu son travail ne sera pas surpris par ce geste. Pour Marie-José Van Hee (°1950), l’architecture transcende l’architecte, et cherche avant tout à mettre en relation les gens avec leur environnement au sein d’un espace qui se doit d’être lumineux, paisible et protecteur. La nature et les monastères forment son cadre de référence; le rythme du randonneur détermine la dynamique de ses créations.

La maison au cœur de son travail

Au cours de sa carrière de bientôt 50 ans, Marie-José Van Hee a pris part à plus de 400 projets, dont 250 ont été menés à terme. Les bâtiments résidentiels constituent la majeure partie de ses réalisations. Ses premiers projets, conçus pour des membres de sa famille, tels que la maison Van Hee-Coppens à Deinze (1977-1979) et la maison Vinken-Van Hee à Passendale (1985-1990), permettaient déjà d’entrevoir les principes et le langage formel qui sous-tendent l’ensemble de son travail et qu’elle perfectionnera dans l’une de ses œuvres majeures: sa propre maison, bâtie au cœur d’une petite rue médiévale de Gand (maison Van Hee, Gand, 1990-1997) et nominée en 1998 pour un prix Mies van der Rohe.

Via des portes vitrées coulissantes et une galerie courant le long de deux façades, la maison donne sur un jardin intérieur, qui s’apparente de cette façon à une pièce extérieure. Depuis le salon, qui fait plutôt penser à un hall, plusieurs routes sont possibles, marquées par des différences de niveau, vers le reste de la maison, ou vers le jardin intérieur, où règne la verdure et la lumière. L’agencement des fenêtres, soigneusement pensé, garantit un équilibre précis entre l’apport de lumière et la vue sur l’extérieur. Le contact visuel est établi avec la ville, mais plus encore avec le ciel et l’oasis de verdure du jardin intérieur.

En quête d’harmonie

Pour Van Hee, concevoir une maison n’a rien d’un acte de manifestation de l’ego. Au contraire, c’est une démarche qui requiert principalement de savoir bien observer et écouter. L’environnement lui-même détermine en effet dans une large mesure la meilleure manière d’aménager une maison, les endroits où amener de l’air et de la lumière, et les espaces qui sont nécessaires pour y habiter harmonieusement. Ce ne sont pas ses propres idées qui vont définir les lignes esquissées dans son carnet de croquis, mais bien les formes et perspectives qu’offre l’endroit lui-même. En ce sens, son architecture peut être caractérisée comme une tentative de respecter et valoriser ce qui est et ce qui a été, plutôt que comme une projection irréfléchie vers un prétendu «monde de demain». La maison qu’elle a construite dans le village de Zuidzande, aux Pays-Bas (2006-2011), par exemple, évoque les granges traditionnelles et les pigeonniers de la région. La question centrale que Marie-José Van Hee se pose tourne autour de l’humain et reste proche de chaque contexte particulier: comment puis-je, ou comment mon client peut-il, habiter ici de la manière la plus harmonieuse possible?

Ce n’est pas un hasard si elle trouve l’une de ses sources d’inspiration les plus fertiles dans l’architecture religieuse. Le monastère cistercien Le Thoronet dans le Var l’a tout particulièrement marquée: elle en parle dans une interview comme de la «quintessence de l’équilibre». Ce monastère et son architecture ont également fait forte impression chez Le Corbusier. Mais à la différence de ce dernier, architecte de renom, le concepteur de cette abbaye du XIIe siècle demeure inconnu. «On ne peut plus approprié», estime Marie-José Van Hee: l’architecte peut très bien se taire et disparaitre, car c’est l’architecture elle-même qui doit s’exprimer. L’équilibre contenu dans les formes elles-mêmes doit pouvoir se refléter dans l’expérience de l’utilisateur, tout comme le faisaient les villas de l’architecte de la Renaissance Palladio.

La génération de 1974

Van Hee fait partie de ce que les critiques d’architecture flamands appellent la «génération de 1974». Cette année-là, ont été diplômés aux côtés de Van Hee tant le critique Marc Dubois que ses collègues architectes Christian Kieckens, Paul Robbrecht et Hilde Daem à l’institut Sint-Lucas de Gand. Avec ces deux derniers, le duo d’architectes ayant conçu en 2002 le célèbre Concertgebouw
de Bruges, elle a collaboré sur un certain nombre d’ambitieux projets de bâtiments publics au cours des dernières décennies. De 2009 à 2012, le Korenmarkt et la place du beffroi, deux grands espaces ouverts du centre-ville de Gand, ont été entièrement réaménagés.

Le plan directeur des travaux, développé par Robbrecht, Daem et Van Hee, prévoyait non seulement l’aménagement d’un espace vert incliné entre l’église Saint-Nicolas et le beffroi, mais également la construction d’une halle inspirée du modèle médiéval. Si ce haut «toit sur pattes» était initialement loin de faire l’unanimité parmi les habitants, il fait aujourd’hui, une dizaine d’années plus tard, partie intégrante du paysage urbain. Ceux qui ont déjà eu l’occasion d’y déambuler reconnaitront aisément cette touche que Van Hee imprime aussi à son architecture privée: la transformation d’un espace vide, nu et sans signification en un espace universel contenant simplement l’essentiel, où l’on se sent à sa place en tant qu’être humain.

Les balades dans la nature dont elle est fervente lui offrent un cadre de référence pour les mouvements et les jeux de lumière qu’elle incorpore dans ses bâtiments. C’est ainsi que la conception de l’une de ses œuvres les plus connues, le monumental escalier du hall d’entrée de ModeNatie (qui abrite entre autres le MoMu) à Anvers réalisé au début des années 2000, reposait sur l’idée d’un randonneur gravissant une colline. Devant lui, il aperçoit la lumière, derrière lui, il garde le contact visuel avec son point de départ. La direction qu’il devra ou pourra prendre une fois arrivé en haut, il ne la découvrira qu’une fois atteint le sommet de l’escalier. Dans la maison Derks-Lowie (Gand, 1986), bien qu’à plus petite échelle, elle avait déjà conçu un autre escalier fabuleux de ce genre.

Dans le respect de la tradition

La génération de 1974 est aussi connue comme la génération des «Silencieux» dans l’histoire de l’architecture flamande. Formés dans un langage formel moderniste, ses membres font preuve de respect envers la tradition et l’histoire. Les expérimentations ludiques et les traits d’esprit qui caractérisent l’architecture postmoderne d’entertainment, très peu pour eux. Leur travail ne s’inscrit que rarement dans le courant international dominant de l’architecture des dernières décennies. Leur influence se limite par conséquent aussi à leur propre région.

En tant que professeurs dans des écoles d’architecture ou maitres de stage pour architectes débutants, ils ont néanmoins pu transmettre leurs idées, qui ont eu un impact non négligeable sur les nouvelles générations d’architectes flamands. Ce n’est qu’après que leur travail a été reconnu à l’échelle locale (en 1997, Robbrecht, Daem et Van Hee ont remporté le prix culturel de la Communauté flamande pour l’architecture, le Cultuurprijs van de Vlaamse Gemeenschap voor architectuur) et après leur participation à d’audacieux projets tels que le Concertgebouw de Bruges (Robbrecht et Daem), l’escalier du MoMu (Van Hee), ou encore le réaménagement du centre-ville de Gand (en nomination pour le prix européen d’architecture 2013), que cette génération a commencé à rayonner à l’international.

Marie-José Van Hee a participé par deux fois à la biennale de Venise, en 2012 et en 2018. En 2017, elle est devenue membre honoraire du Royal Institute of British Architects (RIBA), tandis qu’en 2021, la revue anglo-japonaise a+u disponible partout dans le monde consacrait un numéro entier à son œuvre. Une initiative très pertinente, car l’attention accordée au calme et à la lumière, que les créations de Van Hee traduisent subtilement par leur alternance d’espaces ouverts et fermés, présente bien, pour un observateur avisé, une certaine affinité avec l’architecture japonaise.

Jeter des ponts

Des éléments tels que les mouvements et la discontinuité de la lumière, ainsi que la perméabilité de la séparation entre intérieur et extérieur occupent à nouveau une place de choix dans l’un des projets les plus récents de Van Hee. Il ne s’agit plus cette fois d’une maison, mais d’un espace public à haute valeur symbolique à travers lequel elle est parvenue une fois encore, grâce à une série de procédures très simples, à mettre en place une atmosphère de sécurité et de bien-être, sans que la connexion avec l’environnement ne soit compromise un seul instant. Le Brielpoortbrug, un pont pour cyclistes et piétons dans la ville de Flandre-Orientale de Deinze, a été inauguré en 2021.

Paradoxalement, il s’agit là du tout premier pont au sein de l’œuvre de Van Hee, alors que créer du lien se trouve pourtant au cœur de son travail. Mais il ne s’agit sûrement pas du dernier, car en ce moment même à Gand, sa ville de résidence, les préparatifs sont en cours pour la construction du pont Verapaz, qui fait partie d’un projet plus vaste visant à transformer une ancienne zone portuaire, où actuellement les voitures et les camions règnent en maitre, en un agréable quartier résidentiel. Ce pont doit ainsi garantir pour cette partie de la ville ce que Van Hee propose dans chacune de ses conceptions, tant pour elle-même que pour ses clients: aménager l’espace de telle manière que l’être humain puisse s’y sentir chez lui et en harmonie avec son environnement, et qu’il puisse ressentir cette connexion de préférence à travers la marche.

L’exposition Marie-José Van Hee. Een Wandeling est ouverte au public jusqu’au 21 mai à De Singel, à Anvers.
Le site web de Marie-José Van Hee
Bart van der Straeten

Bart Van der Straeten

poète - lecteur - critique
www.deschrijfarbeider.be

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